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C'est aujourd'hui, au tribunal de grande instance de Bourges, que
les deux experts indépendants mandatés par la justice
doivent rendre leur Prérapport dans l'affaire de la " VelSatis
folle " de Renault, dont le régulateur de vitesse serait
resté bloqué pendant une heure, à près de
200 km/h sur l'A 71, le 3 octobre dernier. L'affaire avait, à
l'époque, fait grand bruit
et, depuis, les cas se sont multipliés. Une association de victimes
s'est constituée pour attaquer le constructeur.
Corinne
Caillaud et Jean-Marc Philibert
Les régulateurs de vitesse n'ont pas encore livré tous
leurs secrets, mais les experts commencent à y voir plus clair.
Après avoir mis en doute les déclarations des automobilistes,
les ingénieurs automobiles, et notamment ceux mobilisés
par Renault dans son technocentre de Guyancourt, s'orientent en effet
vers deux pistes distinctes. Une façon de reconnaître qu'il
pourrait bien, finalement, y avoir un défaut dans les systèmes
électroniques des voitures.
Selon
nos informations, c'est d'abord le multiplexage qui est en cause. Ce
procédé industriel permet de faire passer les ordres de
plusieurs fonctions par un seul câble. Concrètement, le
régulateur de vitesse, l' ABS, l' ESP (correcteur automatique
de trajectoire), l'antipatinage ou encore les capteurs qui déclenchent
automatiquement les essuie-glaces - tous contrôlés électroniquement
- utilisent désormais le même câble. L'avantage est
évident : le constructeur réduit le nombre, la longueur
de ces câbles, diminue ses coûts et augmente les performances
de sa voiture en allégeant le poids.
Pour éviter les " bugs ", les grandes marques ont toutes
mis en place des procédures de contrôle, afin qu'une fonction
défaillante n'influe pas sur les autres. Mais, dans le cas des
régulateurs de vitesse, il semble bien que ces procédures
ne donnent pas entière satisfaction. Ainsi, comme dans le cas
d'un ordinateur qui " plante ", des informations contradictoires
envoyées en même temps finissent par interférer
directement sur le comportement de la voiture. Inoffensive la plupart
du temps, ces erreurs toucheraient parfois le fonctionnement de l' ABS,
sans que l'on comprenne encore très bien pourquoi et dans quelles
conditions exactes. Ce que l'on sait en revanche, c'est que, dans ce
cas, le calculateur de l' ABS recevrait l'information que les quatre
roues de la voiture sont bloquées. Dès lors, remplissant
normalement sa fonction, l'ABS empêcherait toute action sur le
frein, ce qui expliquerait que les automobilistes victimes de ce type
de problème aient sous les pieds " une pédale de
frein dure comme du bois ".
La deuxième
piste sur laquelle travaillent les ingénieurs est tout aussi
technique. Selon cet autre scénario, c'est cette fois le blindage
des câbles qui relient les calculateurs aux capteurs qui seraient
en cause. Pas assez performant, le blindage de certains câbles
pourrait ainsi faire l'objet d'interférences électromagnétiques.
De sources officieuses, on reconnaît chez Renault l'éventualité
d'une telle défaillance. Apparemment, le calculateur du régulateur
de vitesse et celui de l' ABS - toujours - sont blindés classe
3, ce qui ne les met pas à l'abri de possibles parasitages. Un
blindage plus épais, de classe 5 comme dans l'aéronautique,
pourrait résoudre le problème. Toujours est-il que, en
l'état actuel, des signaux parasites pourraient venir perturber
les valeurs relevées par les différents capteurs et, là
aussi, modifier le comportement de la voiture.
D'abord
sceptique, la marque au losange pourrait bien finalement être
mise face à ses responsabilités. Certes, sur les trente
cas recensés, 26 lui apparaissent toujours comme " hautement
improbables ", comme le disait l'ex-PDG Louis Schweitzer en mars.
Mais, désormais, il devient plus difficile de n'avancer, en guise
d'explication à ces dysfonctionnements, que l'erreur humaine
ou de conducteurs qui se seraient " trompés de pé-dales
".
D'autant
que, depuis le mois dernier, plusieurs victimes ont décidé
de se fédérer pour mieux se défendre. En créant
l'Association "droit des victimes de régula-teur de vitesse"
(ADVRV),
elles demandent à Renault le rappel de ses 600 000 véhicules
équipés de régulateurs, une recommandation que
le constructeur n'a pas souhaité suivre. Elles ont également
souhaité que le gouvernement prenne des mesures dans le respect
du principe de précaution. Si pour l'heure celui-ci s'est refusé
à tout commentaire, il n'en reste pas moins que le ministère
des Transports a interrogé la Direction générale
de la concurrence, de la consommation et de la répression des
fraudes et le Comité des constructeurs français d'automobiles
sur le sujet. Dans le même temps, une enquête a été
demandée à la Direction régionale de l'industrie,
de la recherche et de l'environnement (DRIRE) d'Ile-de-France afin qu'elle
vérifie les travaux entrepris par la trentaine d'ingénieurs
de Renault pour analyser le phénomène. Des résultats
étaient là aussi attendus ces jours-ci.
Albert
Benvéniste, chercheur à l' INRIA, explore les hypothèses
qui expliqueraient les pannes :
" Les calculateurs peuvent détériorer les choses
dans 1 % des cas "
Albert Benvéniste, cher-cheur à l'Institut national de
recherche en informatique et automatique (Inria), est spécialiste
de l'électronique em-barquée.
LE
FIGARO : Un pro-blème de calculateur pourrait être
à l'origine des pannes de régulateur; cette thèse
vous paraît -elle plausible ?
Albert BENVÉNISTE : La première génération
de calculateurs digitaux installée sur les véhicules exigeait
un calculateur par fonction : les systèmes étaient donc
totalement isolés les uns des autres. Avec l'augmentation croissante
de fonctions, il est arrivé que certains véhicules comportent
plus de 70 calculateurs. Pour réduire leur nombre, un seul calculateur
se charge aujourd'hui de plusieurs fonctions. C'est ce qu'on appelle
le partage de ressources. De la même façon, la longueur
des câbles est réduite grâce au " multiplexage
", qui consiste à faire transiter les données de
plusieurs fonctions sur un même " bus " informatique
(nom donné au réseau par lequel transitent les informations).
Plusieurs fonctions ont donc à travailler dans un grand nombre
de configurations différentes tout en partageant les mêmes
outils de calcul et de communication. Afin d'éviter qu'en cas
de problème une fonction défaillante pollue le reste du
système, le logiciel a été conçu de façon
à recréer un compartimentage virtuel. Mais les machines
ont un tel nombre de configurations et de séquencements possibles,
et le domaine à explorer, lors des tests de cet ensemble "
logiciel-calculateur ", est si vaste qu'on ne peut être sûr
que toutes les combinaisons ont été examinées.
C'est ce qui explique qu'en cas d'anomalie on ne soit pas toujours capable
de reproduire ce qui s'est passé.
Corinne CAILLAUD : Jusque-là, Renault a invoqué
des défaillances humaines, indiquant qu'il pouvait y avoir confusion
entre les trois pédales. Que cela vous inspire-t--il ?
Albert BENVÉNISTE : On ne peut pas exclure un problème
qui combine le conducteur et la machine : à la suite d'une bizarrerie
du véhicule, l'automobiliste se trouve plongé dans un
tel stress qu'il se met à faire n'importe quoi. Rappelons qu'avec
chaque progrès scientifique on crée une nouvelle gamme
de risques. Là, on est dans un domaine où l'introduction
de calculateurs peut améliorer les choses dans 99 % des cas et
les détériorer dans 1 % des cas.
Corinne
CAILLAUD : La seconde hypothèse avancée concerne
d'éventuelles interférences électromagnétiques.
Vous paraît-elle crédible ?
Albert BENVÉNISTE : Il est connu que des pannes
intermittentes se produisent dans des situations de pollution électromagnétique.
C'est pourquoi, dans les secteurs militaire ou spatial, on utilise des
calculateurs durcis au moyen d'un blindage qui rend toute interférence
impossible. Mais leur coût est nettement supérieur. Toutefois,
cela n'explique pas que le frein devienne inopérant. Cette partie-là
est mécanique et indépendante du calculateur. Quand bien
même le frein se trouverait privé de son assistance, normalement
on pour-rait toujours appuyer dessus. ( NdA : Mr Benveniste ignore que
l'ABS peut bloquer les freins ! )
Renault n'est pas seul en cause.
Renault n'est pas le seul constructeur impliqué dans les dysfonctionnements
de régulateurs. A moindre échelle, les autres marques
ont, elles aussi, été victimes de problèmes identiques.
Ainsi, le 29 mai 2004, c'est à bord d'une Peugeot 806 que les
époux Prieur se font une grosse frayeur: A l'arrivée au
péage de Villefranche, sur l'A6, régulateur enclenché
à 130 km/h, la pédale de frein ne répond plus.
Pour éviter les autres véhicules, la 806 finit sa course
dans le muret de protection. La voiture est détruite, la conductrice
se verra prescrire 90 jours d'ITT. Le constructeur ne décèle
aucun défaut. Plus grave, le 11 septembre dernier, les époux
Grandcollot, à bord d'un cabriolet VW Golf, modèle 2003,
s'encastrent dans les barrières du péage d'Heudebouville,
sur l'A13. Nadine, la femme, est gravement blessée dans l'accident.
Les gendarmes ne constatent aucune trace de freinage. Le constructeur,
lui, ne relève " aucune anomalie de fonctionnement ".
Toujours au péage d'Heudebouville, le 14 novembre, c'est à
bord d'un Ford Focus C-Max que Frédéric Doumont subit
le même type d'avarie. Il s'en sort plutôt bien après
avoir eu la présence d'esprit de tirer le frein à main.
A l'issue d'un tête-à-queue, seule la carrosserie est endommagée.
Après expertise, Ford France ne constate " aucun dysfonctionnement
".
Les problèmes d'" accélération soudaine "
impliquant des régulateurs se sont multipliés au Canada,
au Japon ou en Corée, sans oublier les Etats-Unis. Selon le docteur
Antony Anderson, un expert britannique indépendant, tous les
constructeurs, de GM à Nissan, en passant par Jaguar, ont été
affectés à des degrés divers par des problèmes
liés à l'électronique."
J. M.
P.